UN AUTRE MONDE DE GUILLAUME LEMOINE
Laetitia Bischoff
C’est une photographie prise au microscope à force atomique. Elle sort du CEA-Leti et est le fruit de l’entier savoir-faire de ce laboratoire. Guillaume Lemoine en est l’auteur, l’instigateur : il s’est muni des ressources de pointe de Grenoble, humaines et technologiques. L’œuvre : une intervention à échelle nanométrique. La photographie atteste de son existence. J’imagine l’appareillage du microscope atomique pour la prise de vue bien plus conséquent et volumineux que mon Nikon, bien sûr. Malgré l’ancrage temporel de cette prise de vue - 2008 -, elle porte une intention similaire à celle, célèbre, figurant la chaussure d’Armstrong sur la Lune. Elle porte l’intention de signifier sa présence en une terre où la photographie n’avait pas encore posé son objectif. La trace d’un passage en terre nanométrique sur silicium, ici, n’est pas celle d’un pied, mais d’une phrase, d’un message.
Sur cette photographie, un texte apparait en quelques dévers, de biais, comme soufflé par un vent marin. « Un autre monde est possible, il est dans celui-ci » a été lithographié par faisceaux d’électrons sur un disque de silicium. Il mesure 50 µm, c’est peu de chose. Il porte en sa présence et son message-même une dimension qu’il nous incombe de saisir par l’imagination. Aucun doigt, nul œil ne conçoit cette échelle de mesure sans prothèse laborantine. Et cette phrase nous fait face en une salle d’exposition, à la fois en photographie et en une installation, comme un miroir, une plaque de silicium qui renvoie la lumière.
Guillaume Lemoine souligne toute l’ambiguïté de sa démarche. Cette phrase, choisie par ses soins, souvent scandée par les écologistes qui appellent à renouer avec le vivant, est ici recréée, écrite, taguée à une échelle qui, il y a peu ne nous appartenait pas. Elle est imprimée sur une terre investiguée par la technologie de pointe, qui opère presque enfermée sans air.
Un nouveau monde est possible, oui, nous dit l’artiste, à l’échelle nanométrique, les scientifiques s’emploient à le construire. Une humanité poursuit sa quête, son voyage d’empreintes à laisser sur des continents « vierges ». Vierges mais terrestres pourtant, le silicium est l’élément le plus répandu de la croûte terrestre, après l’oxygène. Le tiraillement politique passé, l’enroulement d’un message emprunté à un monde pour figurer dans un autre presque étranger, quel effet s’installe pour l’art contemporain ?
Guillaume Lemoine fait-il de l’échelle nanométrique un nouveau lieu, pour l’art, la poésie ? De nouvelles allées s’ouvrent au texte, de nouveaux ronds-points, si petits soient-ils, accueillent poésie et graff d’aujourd’hui.