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SIC TRANSIT GLORIA MUNDI

Daniel Volpatti

Ce village s'étend sur les rives d'un court fleuve côtier qui se jette dans la Mer Violette. Dans ce village la maison était très vieille, au moins trois siècles, que les grands-parents avaient achetée quand ils s'étaient mariés, il y a de cela cent-quatorze ans. Le long d'une montée en pas d'âne ou de mule. Une vieille maison de pierres, de chêne et de tuiles qui n'avait eu d'entretien que le minimum. Un peu de plâtre par-ci, une tuile replacée par-là, ailleurs quelques clous. De peinture jamais. Malgré ça elle avait tenu bon et avec ses planchers flacheux et gauchis elle disait son âge. Quelques années après la seconde guerre le grand-père était parti dans la souffrance qui prend les hommes à la vessie, enfin par là. La grand-mère resta seule quelques années puis, sa tête jouant des tours, ses enfants partagèrent, volens nolens, sa garde et son entretien. Devenue imprévisible, elle finit sa vie dans une maison pour personnes folles. La maison resta vide, abandonnée pendant trente ans. Les héritiers, un garçon et trois filles, prompts à se chicaner, laissèrent traîner les choses tant et si bien qu'après leur mort la maison, mangée d'eaux de pluies, commença sa descente aux enfers. Les héritiers n'étant maintenant plus quatre mais vingt et plus, la situation devint de plus en plus inextricable tandis que les dégâts empiraient. Survint la tempête Alex. En un jour il tomba cinq cents millimètres d'eau. Le fleuve gonfla et se mit en furie. Il arracha des ponts, des cimetières et embarqua des cercueils jusqu'à la Mer Violette. Le toit de la maison chuta sur le second étage, le second sur le premier et le premier sur le rez-de-chaussée. La maison se retrouva en une nuit dans son état initial, un tas de pierres, de bois et de tuiles. La maison n'était pas la seule possession du grand-père et de la grand-mère. Ils avaient aussi, dans un vallon, à trois kilomètres du village, un jardin traversé par un torrent clair habité par des truites. La même nuit le torrent grossit par cent et emporta le jardin, le remplaçant par un champ de cailloux. Ainsi, en une nuit, disparurent les biens des grands-parents qui moururent une seconde fois. D'autant plus que leurs enfants n'ayant pris aucun soin de leurs sépultures, ils étaient partis chacun dans un ossuaire, à trois cents kilomètres l'un de l'autre.

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