POUR L’INCONNU
Laetitia Bischoff
Il est mort et beau, avisé de son sort par une couture bleue à la gorge. Il semble blanchi de tout acte de vie par une coiffe de drap pâle. On ne voit guère ses yeux enfouis dans l’ombre, il dort ainsi. On croirait sentir son souffle en s’approchant du tirage photographique. Il est pourtant froid et si tiède de sentiment. Sa tête s’incline, puis la mienne aussi. Je singe sa pose, comme pour me coucher auprès de lui. Une enveloppe noire porte sa silhouette, le premier plan est totalement sien, il va sortir de l’image, et puis non. Il a cette ligne de points de suture qui le traverse du menton au poitrail ou inversement. Sa bouche et ses narines plongent vers la gauche, serait-ce une moue, de contentement, de paix? Il rêve, n’est-ce pas, lui qui a fini sa guerre.
Le cadavre d’un inconnu est à la morgue, Andres Serrano et son appareil photographique le sont aussi. Nous sommes en 1992. Ce cadavre tient en lui plusieurs passés : celui de sa vie révolue, et puis celui des icônes choyées d’un drapé. Le passé, celui aussi dont l’absence de décor fait expirer le chant des églises jusque à la morgue. Voici une bascule photographique, depuis un corps, jusqu’ à son image : un saut par la mort.