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ERRANCE

Dunia Ambatlle

Il marche à travers la campagne, sentiers escarpés, cailloux roulant sous ses pas, Il côtoie les bouleaux aux troncs blafards et ridés dont les feuilles tremblent aux brises aléatoires de l’aube, comme des pièces d’argent prêtes à tomber dans les mains d’un géant de pierre.
Pierres de granit grisâtres et dures.
Dures les pentes qui l’acheminent vers le mont noir de l’éveil.
L’éveil est proche, Il se penche au-delà de la falaise et les lumières, tout en bas, prennent la fuite.
Fuite d’une nuit qui s’achève dans la froide sueur de la marche impossible vers le vide.
Vide la carapace qu’Il s’est tissée lentement au sein de la solitude, un regard vers le néant, un pied devant l’autre et le but est ailleurs.
Ailleurs, autour de lui, la forêt se fait discrète, la campagne s’évanouit, Il n’est plus du côté des mystères verts et noirs des faunes et des feuilles frémissantes, Il affronte enfin la vallée et le ciel.
Le ciel se teint de plomb et la ville, à peine visible, se cache ; dans le brouillard, les lumières incertaines tremblent de brume humide.
Humides sont ses mains tentant de saisir les derniers soupirs d’une nuit qui n’en finit pas de déborder au-delà des silhouettes confuses qui l’encerclent et le guettent comme des sentinelles dans l’obscurité.
L’obscurité détend ses liens et la ville nettoie son visage nocturne, patte de chat énorme sur le museau dressé des tours, des rues et des venelles encore illuminées, arbitraires lueurs, fourmilière endormie entre le gris des murs.
Les murs se font alors tendres et frissonnent au point d’un jour nouveau, Il est là, posté comme un aigle de faiblesse, dominant timidement la vallée et son réveil.
Réveil d’une cité aux silences lointains, elle lève lentement ses yeux chassieux vers le ciel qui l’enivre déjà de pastels et de gris.
Gris et fatigué, Il ne bouge plus, perché sur les rochers, Il regarde et se tait, Il ne croit plus aux dieux qui ont tracé sa route.
Sa route s’achève là où la ville commence, là où un pas de plus peut tronquer tout espoir.
L’espoir n’est plus qu’un mot que la lumière fait pâlir, Il avait cru partir, Il avait cru à un autre possible, Il aurait peut-être pu mais rien n’est venu donner chair à son rêve, il reste le retour.
Le retour aux maisons aveugles, aux foules regards baissés, aux mains absentes, aux visages livides d’un quotidien oublié.
Oubliées les utopies des chemins de traverse, des cheminées rougeâtres, des loups apprivoisés.
Apprivoiser le temps est l’affaire des dieux et l’Ange n’a plus d’ailes pour atteindre un ailleurs.
Ailleurs, la ville renaît des cendres de la nuit, Il se penche, tout près, au bord de la falaise et devine, peu à peu son passé retrouvé, Il regarde face à lui et voit l’indifférence, puis Il tourne la tête vers son rêve perdu, Il ne veut plus prier, Il ne peut plus se plaindre, Il ne sait plus pleurer.
Pleurer ? Mais quelle terre s’imbibera de ses larmes ? L’Ange déchu n’est plus orgueil au bord du dernier choix, du dernier soupir de vérité.
Vérité retrouvée entre nuit et lumière, tourner le dos au rêve et cracher sur la réalité.
Réalité d’échecs que la ville rattrape, étirant ses bras de fumée sur les ailes absentes de l’Ange qui se penche sans cesse vers le creux qui l’attire et le broie déjà.
Déjà, Il ouvre ses bras pour que renaisse l’ancienne beauté, l’ancien pouvoir, pour que viennent les plumes, l’aura blanche, duveteuse, qui pèse sur son corps.
Déjà, Il ferme ses yeux.
Déjà, Il n’est plus là.

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