PHILIPPE YVON
Noir et blanc… pour mémoire.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai entrepris de faire de la photo à l’âge de 17 ans, au moment où je rencontre la photographie noir et blanc et l’univers du jazz dans une cave jazz toulonnaise. Dans cette cave, j’ai découvert des musiciens qui feront partie plus tard des plus grands musiciens français. De cette atmosphère, de cette aventure unique, sensorielle, visuelle, je n’ai eu qu’un seul but : faire des photos de jazz en noir et blanc. Évidemment, devenir photographe professionnel restait de l’ordre de l’utopie tant la formation ne m’était pas accessible. J’ai donc travaillé ma perception des photos de jazz avec mon vieil appareil et mes réglages extrêmes. La plupart des prises de vue de mon portfolio datent de cette époque et sont issues d’un travail manuel de développement argentique. Ayant trouvé ensuite les mêmes réglages avec le numérique, j’ai pu poursuivre mon travail esthétique du jazz pour justement fixer la mémoire.
Cette mémoire s’exprime à travers une prise de vue, proche de l’instrument ou du musicien. Fixer l’instant, figer la note, garder l’ambiance intacte de la « note bleue ». L’image toujours très contrastée flirte avec le flou, diffracte le grain, suspend la poussière de la musique. Mon travail consiste à faire surgir le musicien du noir, pour l’emmener vers le blanc, comme si sa musique sortait du néant pour venir nous conquérir. Je ne cherche pas le piqué, mais le mouvement vers la lumière brute, l’apparition, vers l’incarnation de la musique. Je cherche à mettre en mémoire et pour mémoire ce passage où une sensation de liberté apparaît à l’état brut. Pour fixer chaque photo, j’ai un œil dans le viseur et l’autre qui regarde la scène dans son ensemble. Une double vue schizophrénique qui donne l’information de ce qui va se passer. Sentir lorsque l’improvisation s’envole ou est sur le point de s’envoler et capter cet instant, le sublimer par la photo. Lorsque je regarde le portfolio, je sens l’odeur de la cave, je ressens la pierre qui s’effrite sur les murs, la chaleur qui monte au cœur lorsque l’improvisation s’évade. L’ambiance devient mémoire des notes perdues stockées dans notre inconscient.
Ces photos s’inspirent aussi d’une époque, celle des photographes de jazz qui ont donné des témoignages visuels de l’histoire de cette musique. On parle ici d’Herman Léonnard, de Francis Wolf, de William Klaxton ou encore de Guy Le Querrec… Je photographie pour conserver en image fixe un instant de liberté, de musique, d’émotions que seul le jazz peut fournir à un certain moment. Je fais souvent trois vœux à la fin de chaque concert.
Avoir au moins une bonne photo nette.
Avoir au moins une bonne photo floue.
Avoir au moins un frisson
Aujourd’hui, mon travail photographique est toujours tourné avant tout vers l’émotion et vers les graphismes d’une photo, qu’elle soit sur le jazz ou sur l’art contemporain. Je continue à explorer ce que le cadre d’une photo peut m’apprendre.
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