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MICHEL WICHEGROD

Autodidacte tardif puis vieil élève d’un jeune photographe d’art et d’expérience. N’oublie pas ses premières amours : Ralph Gibson, Jane Bown, Fan Ho, Martin Munkácsi, Michal Cala… Vit dans un monde monochrome. Photographie dans la même couleur. Essaye de saisir avec son appareil, au travers du réel général, la géographie, les lieux, les créatures d’un hinterland psychique, c’est-à-dire fantasmagorique.
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Still Life II
Multiplication des chimères de « Still Life I ». On ne sort pas de l’inquiétante étrangeté quand on en a fait contre son gré sa résidence perpétuelle, ou quand on est soi-même devenu un séjour apprécié des cauchemars, parce que les cauchemars savent trouver les psychismes taillés à leurs dimensions. Comme l’a écrit Robert Louis Stevenson, l’étrange romancier de « L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde » : « … un homme ne vit pas dans la réalité extérieure, parmi les sels et les acides, mais dans la chaude pièce fantasmagorique de son cerveau, aux fenêtres peintes, aux murs historiés ». Quelquefois cette pièce n’est pas chaude, elle est glaciale ou bien c’est une fournaise, des formes inquiétantes s'y traînent, des formes difficiles, déchirantes ou ridicules qu’on s’évertue à faire passer de la pièce fantasmagorique jusque dans la réalité extérieure par la trappe de la littérature, de la peinture, de la photographie ou de tout autre procédé de matérialisation. C’est le moyen le plus ancien, le plus pratique, le plus sérieux qu’on ait inventé pour garder les fantômes à distance. C’est aussi le moyen le plus diplomatiquement efficace qu’on ait imaginé pour les montrer sous leur meilleur demi-jour et même sous leurs meilleures ténèbres, par l’intention esthétique, par la transformation stylisée et, s’agissant de cette série de figures, par l’utilisation d’une petite boîte à sortilèges appelée appareil photo et le recours exclusif aux deux plus belles couleurs du monde quand elles sont associées : le noir et le blanc. Après tout, c’est ce qu’ont fait avec leurs gravures, en se servant d’autres instruments, Goya, Jacques Callot, Gustave Doré… La différence, toutes proportions gardées par ailleurs, c’est que chez ces pères de la féérie noire l’accumulation, plus ou moins nombreuse, est le plus souvent simultanée à l’intérieur de chaque image, tandis que l’accumulation des personnages, dans ces photographies, est successive, fragmentée en représentations individuelles ou de petits groupes. Il n’existe aucune loi d’airain dans la politique de peuplement des obsessions poétiquement extériorisées. On fait comme on veut, comme on peut, comme on sait. On fait surtout, en grande partie, ce que décident les créatures de notre petite pièce fantasmagorique. À condition, bien sûr, qu’elles fassent preuve d’un certain sens du décorum et des proportions.

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