ANTHONY THENAISY
Vers l'âge de 11 ans, son cochon d'Inde disparaît. Il attrape alors le Fujica GER de son père, un petit télémétrique très léger (l'appareil, pas son père), puis il file dehors à la recherche de l'animal. Il ne trouve pas Ulysse, c'est son nom, mais tout en cherchant il prend des photos des lieux et des objets qui lui semblent liés au rongeur. C'est son premier reportage. Il n'a pas revu son cochon d'Inde mais bien des années plus tard, âgé d'un peu plus d'une vingtaine d'années, il achète son premier appareil et alors photographie régulièrement ce qui l'entoure, comme une église effacée derrière le feuillage d'un arbre. Petit à petit le thème de la disparition s'impose à lui et il en vient à s’intéresser aux traces, au vide, au travail qui s'en va, au flou...
La condition humaine et le rapport de l’individu à l’espace sont des thèmes récurrents de son travail. Les femmes et les hommes sont souvent représentés dans des plans larges se concentrant sur leur absence ou leur présence lointaine. Il photographie des paysages où se rencontrent monde naturel et monde construit. Sensible au récit, il explore les frontières entre la fiction et le documentaire dans des images avec une dimension politique sous-jacente. La relation complexe entre l’homme et la nature est aussi centrale.
Tout en maintenant une distance certaine avec leur sujet, ses photographies sont la résultante d’une tentative qui se veut avant tout ambiguë, sans message clair, laissant la place au hasard. Elles s’intéressent également au logement, à la migration et à la pression exercée par l’homme sur nos écosystèmes.
Autodidacte, il photographie depuis le début des années 90. Après une pratique photographique instinctive, au hasard du chemin et des rencontres, il se tourne petit à petit vers une démarche plus consciente, souvent autour des enjeux sociaux de son époque.
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DISPARITION, UNE
A l’ère de l’anthropocène, il est urgent de comprendre que si nous voulons un avenir, il est impératif d’établir un nouveau rapport à la Nature. Le journal Le Monde titrait, le 23 mars 2018, « Le déclin massif de la biodiversité menace l’humanité ». Les prévisions pour 2100 sont alarmantes (4°C. de réchauffement climatique et une érosion massive et continue de la vie sauvage) ; pourtant les actions pour y remédier semblent jusqu’à maintenant dérisoires.
En France, les sols artificialisés représentaient 9,4% du territoire métropolitain en 2015, soit une hausse de 1,1 % en 10 ans. C’est l’équivalent d’un département de taille moyenne qui a été bétonné durant ces 10 années. En dépit du Grenelle de l’environnement de 2007 et du plan biodiversité de 2018 qui annonçaient l’objectif d’une baisse de cette artificialisation, celle-ci continue d’augmenter.
En Europe, depuis 1990, la Commission européenne estime à 1 000 kilomètres carrés la surface des terres qui chaque année sont artificialisées.
Au niveau de la planète, un article des Échos du 13 janvier 2018 indiquait « Selon la FAO, 33 % du sol est dégradé modérément ou fortement en raison de l’érosion, de la perte de matière organique, de l’épuisement des nutriments, de l’acidification, de la salinisation, du compactage et de la pollution chimique. (...) Partout où le bitume gagne, les équilibres s’effondrent, l’activité biologique recule et les sols s’appauvrissent, se tassent ou disparaissent...Jusqu’à 30 millions d’hectares de surfaces cultivables sont perdus chaque année, l’équivalent de la superficie de l’Italie. »
Premier volet du projet "Disparition", qui s'attache à faire disparaître plus ou moins ce qui est saisi par l'appareil photo, et s'efforce de représenter l'idée même d'une disparition, celle des espaces naturels, du végétal, du sauvage, de l'animal, du vivant, de l'être humain...
Il s’agit ici par ces images d’évoquer cette rivalité entre deux territoires : celui construit par l’Homme pour l’Homme, qui n’en finit pas de manger celui du monde sauvage ou tout du moins des espaces naturels. Pour évoquer cette expansion vorace, j’ai imaginé une Nature qui disparaît. Ainsi, dans cette série de photographies, ce sont des arbres qui s’en vont. Des images qui sont une tentative d’action bien dérisoire mais qui convoquent malgré tout les pouvoirs de l’imagination et du rêve. C’est une manière de rappeler que l’air de rien et consciemment nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis.
« Quand tu marches en forêt, tu vois toute cette beauté incroyable et tu ne peux pas croire qu’elle puisse disparaître. Qu’elle puisse ne pas exister. »
Tiré du documentaire Braguino de Clément Cogitore