ANOUCK EVERAERE
Habitée par la photographie dès son plus jeune âge, Anouck Everaere grandit dans une « ville nouvelle » et saisit la mélancolie d’un quotidien vécu au sein d’un lotissement, entre une zone industrielle, la prison et des HLM. L’année 2016, à l’École de photographie et de l’image Bloo, lui apporte une approche documentaire sensible. Sa pratique découle d’une immersion sur le long terme, l’amenant régulièrement à aller à la rencontre de personnes considérées comme en marge ou sous-représentées dans nos sociétés, et à s’imprégner de leur monde.
Elle expose à Paris Zone mixte au consulat Voltaire (2022), aux Rencontres de la jeune photographie internationale à Niort (2022), L’heure des comptes au Festival Résonances, Studio Citygate à Bruxelles (2019), Incarnées, dans le cadre du Festival International du Documentaire Émergent (2018). Depuis 2017, elle travaille à l’École Documentaire de Lussas. En 2022, Anouck Everaere est sélectionnée une seconde fois pour une résidence CLEA dans les Hauts-de-France soutenue par la DRAC.
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DEBORD-DEROUTE
J’ai commencé à photographier des stations-services il y a quatre ans, avec un besoin d’accumuler des images des lieux de mon enfance, j’ai développé une forme d’obsession pour ces géants de tôles qui abritent et remplissent. Très inspirée par le travail de Ed Ruscha (Twentysix Gasoline Stations) aux Etats-Unis ou de Hans et Hilla Becher en Allemagne. Je me fraye un chemin à la recherche de stations services sur le déclins. Celles qui m’intéressent le plus sont les plus usées, les stations à l’abandon qui dépérissent lentement sur le bord de la route. Une station service vieillit mal, la structure industrielle résiste peu aux intempéries et au manque d’entretien. C’est là qu’elle devient belle. Cet état des lieux un peu triste et silencieux représente des espaces qui me sont propres, qui me sont chers. J’écume les routes, les rues, les chemins et tombe régulièrement sur ces petites zones perdues que plus personne ne regarde. Au travers des stations-services, c’est tout le champ lexical du voyage qui s’ouvre par son prisme.
La localisation n’a pas d’importance, seule l’ambiance du moment de la prise de vue compte, il m’arrive d’attendre une heure que le vide se crée dans le champ de l’image pour que le charme opère.
Ce projet a pris pour moi une dimension plus expérimentale et m’a poussée à développer des procédés chimiques liés à la photographie. En effet, lorsque l’on se trouve sous la structure d’une station service, l’odeur de rouille, l’usure des matériaux, les sons lointains de la route, tout devient un terrain de jeu. J’ai donc cherché des solutions pour rendre intelligible ces expériences sensibles.
À la manière d’un scientifique j’ai enfermé des tirages de lecture des stations-services dans des boites de pétri en mélangeant plusieurs produits trouvés autour des stations-services afin de ronger, d’altérer l’image, comme la corrosion et la pluie ronge la tôle et le métal.
C’est un mélange d’essence et de cuivre qui a finalement permis d’atteindre ce résultat. La pellicule sensible de l’image se décolle au bout d’un certain temps et permet de jouer avec une « peau photographique » qui prend son indépendance du papier.
Depuis 2019, ces images sont immergées et continuent leur travail de disparition, dans leur état naturel, immergé dans un mélange d’essence et de cuivre, l’odeur emplit la pièce, il faut se pencher pour voir les détails de l’image et faire l’expérience du matériau.