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MYSTICA PERDITA

Jean-Paul Gavard-Perret

En magicienne Catherine Raynal tisse des sorcelleries,  raccommode les clairs de terre à coups de songe, d’ex-voto et de signes.  Les miroirs qu’elle traverse se recouvrent d’étranges silhouettes. De la matrice de divers supports des formes essentielles qui dépassent l’ordre de l’art occidental et de ses règles. Sur le fond de la vitre du réel reste une profonde clarté. Les inassignables de Catherine Raynal traversent les cultures. Demeurent d’étranges icônes de notre civilisation occidentale.  Jamais du trivial. Ou du sophistiqué. De l'humour oui. Il n'est pas relégué au couvent. Il guette. Il guette une silhouette pour qu'elle devienne graphie.

Tout devient ainsi plus feutré, plus intime. Demeurent toujours un écart, un écartement. L'artiste est comme tapie dans un couloir. Elle attend. Elle attend l'instant magique. Ravie en esprit, ravie physiquement prête à imaginer les (dé)figurations qui peuplent ses mémoires. On peut l'imaginer bientôt dessiner une bouchère. Elle ne la laisserait pas derrière sa caisse mais devant l’étal au milieu des couteaux et de la scie. Elle y irait de bon cœur mais en enfant sage pour désosser les morceaux. Elle pourrait même la dessiner à l’abattoir en train de choisir la carcasse d'un bœuf gras qui, avant l'abattage, dormait debout à cause de l’angoisse.  On verrait en noir et blanc le beau tablier avec bien sûr du rouge juste ce qu'il faut.

Catherine Raynal construit sa Divine comédie insomniaque. En actionnant son bras séculier et comme pour sa bouchère on se dit que caresser est une chose plus légère que trancher. « L’un n’empêche pas l’autre » pourrait-elle répondre. Rassuré on mangerait ensuite une bonne tranche de bavette. Dans le réel qu'elle frictionne l'artiste créer ses images aussi impressionnistes qu'expressionnistes. Elles font la nique à toute l'histoire officielle de l'art. 

Elle peut se vanter d’être paresseuse et de cultiver le mépris avec parcimonie - vu le grand nombre de nécessiteux. L'artiste aime dessiner des femmes. Parfois comme des marionnettes à fil elles sont tirées vers le haut. Parfois elles sont enfermées dans des cages. Mais elles ne sont pas les seules. On y trouve parfois des heaumes qui trouvent là leur sweet home. Reste-t-elle pour autant Princesse de Clèves cœurs pour les déesses qu'elle invite dans son palais divers ? Toujours est-il que Catherine Raynal impose au silence le langage de la nudité. Elle aliène la matière première du fantasme afin que l'art prenne un visage plus délicat, profond et ironique.

Gît aussi dans ses installations toute une multitude d'objets hétéroclites. La lumière filtre à travers les ferrailles rouillées. Quelque chose de violent dégage une partition visuelle obscure et drôle. Le soyeux et l'ardent sont étouffés. La nappe cendrée des choses aussi. Quelques rebus sont isolés, ruinés mais étonnés de ne pas être jetés. C'est leur hantise. C'est le pouvoir de l'artiste de les tourner non en ridicule mais en reliques comme on fait tourner en bourrique.

Reste la magie du noir et blanc. En émerge le pouvoir de l'étrangeté que l'artiste impose. Se fait l'expérience d'une sorte d'infini dans la simplicité, une hantise. Le corps de Catherine Raynal se penche lorsqu'elle crée, assemble, coud, dessine et soudain l’image gonfle comme un fruit qui ne peut être retenu. Tout son être est en tourment. L’imagination déborde il faut la maîtriser. Mais soudain ses doutes s’apaisent. Les images deviennent chair. L'artiste les a accouchées des deux mains. Le travail fini il est grandement midi. Le soleil est au zénith. C’est l’heure des eaux plates et des voyeurs avaleurs de grenouilles. Une vérité s'affiche, s'éclaire, lourde et légère.

Dans l'abrasion entre un certain arte povera et un minimalisme une figuration mystérieuse surgit. Chaque portrait ou empreinte ramène à une perverse Dulcis Vergo. Et même lorsque les tempêtes sont lointaines et que les cris de bête des mâles ne se dressent plus, certains se consument encore pour ce qu’ils furent, d’autres ne sont que l'urne de leur vision votive. Aux uns comme aux autres ne reste que l'abandon à la fidélité du rêve. Les pauvres pêcheurs assemblent les fragments d’images férocement pieuses de Catherine Raynal : ils prient devant pour implorer la paix.  Mais ils se trompent et s'embourbent. Au bord du sommeil ils cherchent un arrangement avec la diablesse dont la bas blesse.
Là le piège que tend l'artiste. Le voyeur reste son hamster qui tournique, l’affreux jojo à l'âme austère inséparable de l’ivresse, le rouge-gorge à rouge queue. Mais plus roitelet que sanglier satyre des maïs aux dessous poivrés. Pour les ex-champions du luth et de la turlutte le rouge est mis.  Catherine Raynal est donc satisfaite. Elle sait que son travail est un peu d'eau vive pour ne pas se détruire. Un peu d'eau contre les larmes de vie. Le monde devient une fable. Silence que silence. Créer ne sauve rien. Sauve tout ce qui peut l'être. L'histoire. Jamais finie. L'histoire de la femme vêtue de noir, vêtue de blanc. Ruissellement de ses vêtements comme des moussons pour créer ses œuvres.  Ce qui en surgit n'a pas de nom, ou le nom impossible.  Le voyeur reste dans leur sillage. Capable juste d’un soupir, le presque du « ne pas ».

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