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L’ALBUM MANQUANT

Catherine Raspail

Western et wagons bâchés.
La photo a donné un visage aux pionniers du Far-West.

1848-1849, les trappeurs, les chercheurs d’or transhument d’Est en Ouest. Dans leurs bagages, le premier appareil photo.
Les vainqueurs imposent l’image.
Le mythe est posé : tout ressemble à un commencement.
Photographie et cinéma deviennent le bras armé de la conquête de l’Ouest : en imprimant la silhouette de ces anglo-saxons blancs protestants venus d’Europe, ils effacent les visages, les identités, le souvenir des habitants de ces contrées devenus par force américains.
Ces peuples natifs, métissés, ont été invisibilisés.

Qui dit conquête dit violence.
Le mouvement d’arrière en avant, les caravanes de chariots entaillent et s’approprient l’espace, les colonies se sédentarisent et annexent les terres : le grand mépris est en route.
Ils ont volé le territoire, pendus des femmes et des hommes mais l’effacement est sans doute plus radicalement destructeur. Tirez les rideaux !

Qui habitait le Mexique du Nord avant 1848 ?
Avant la création de la frontière, la Californie, le Nouveau Mexique, l’Utah, le Nevada, le Colorado, l’Arizona, le Texas constituaient le Mexique. Leurs habitants aussi.
Fracturé, divisé, le Mexique d’après 1848 se retrouve diminué ; sa superficie est minorée, sa population ignorée. Dès lors, le mensonge s’affiche.
Restent les photos des vainqueurs parfois dépenaillés, sales, couverts de sueur et de poussière, mais à la face souvent réjouie et au sourire carnassier. Ils se voient et se donnent à voir comme « les premiers ».
Avant eux, rien, personne, le désert.
Envisager qu’il y eut une civilisation, des peuples, des cultures aurait remis dangereusement en cause les fondations du mythe américain.

L’artiste, photographe belgo-américain Tomas van Houtryve est allé à la rencontre des descendants des premiers habitants du Mexique.
Son projet photo : redonner un visage à tous ces peuples invisibilisés paradoxalement par l’arrivée de la photo. Créer l’album manquant.
Il décide d’immortaliser sous forme de diptyques, des hommes, des femmes et leur territoire. Il reprend les techniques du XIXe siècle pour portraiturer le peuple natif et métissé : chambre photographique d’époque, procédé du négatif sur verre collodion humide.
Il choisit le drone pour nous livrer la terre vue du ciel, cette terre de l’Ouest traversée et cicatrisée par cette nouvelle frontière, celle de Trump. Du sable au mur : l’image de l’obscénité.
« Nous n’avons pas traversé la frontière », clame un des descendants d’Indiens, Noirs ou hispaniques, « C’est la frontière qui nous a traversés ! »
Le projet de Tomas van Houtryve parle de notre rapport à l’identité, à la mémoire, au pouvoir.
En redonnant une visibilité et un visage aux descendants du « 1er Mexique », il restitue l’humanité qui habitait cette terre avant 1848 et celle que la photo devrait toujours servir.
Son livre répare : c’est l’album manquant.

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