top of page

GRINCESSE, PRINCESSE : VANDA SPENGLER

Jean-Paul Gavard-Perret

On dit que tu es venue des forêts et du froid. Entre tes doigts un peu de plumes, un peu d’oiseau, un peu de sang. Tu es lumineuse comme tes photographies.  Une cartomancienne te disait que les autres ne t’arriveraient pas à la cheville. Elle ne se trompait pas. Tu es devenue femme de lune. Tu comprends que tout s’inverse, que la mer est douce et faible, que le littoral peut la manger. C’est toi qui dicte à la courbe de l’horizon son parcours au sein de tes métamorphoses.

Le cœur est un chaudron de solitude. Il te salue dans ta lumière. Il n’oublie jamais tes offrandes. Sache que pour être entendue tu n’as besoin ni d’hébreu, de sanskrit ou d’italien. Tu t’accroches au cou d’un oiseau comme lorsque, enfant, on t’habillait en rouge.  Tu n’aimais être ainsi vêtue mais on t’apprit  qu’il fallait manier la trique pour faire avancer l’ânesse.

Par la porte de l’église tu écoutais les chants de messe. Le célébrant entonnait l’air que reprenait l’assemblée.  Mais, loin des orgues poussives, un ogre  t’apprit le morse. Ce fut sa façon de figurer en sa langue dans la tienne. Pendant un temps tes chaussures tu les ciras. En attendant tu lui offrais ses chaussons. Il fumait une pipe et buvait un coup. Un fil relie encore l’après de l’avant. Mais cela s’estompe. En habits de gloire de l’autre rive on te guette. Tu n’y abordes que de loin.

Ton corps bat de l’aile. Mais tu connais une variété de fleur qui guérit tout. Ses pétales ont une chair blonde. Dans la corolle feule l’abeille en éruption d’amour. Là tu vas afin de découvrir  ce qui ne se voit pas : le diable avec sa fourche et ses oreilles acérées comme la langue des brebis dans le champ d’émeraude. Sons de cloches dans le lointain.

Dans tes yeux gribouillait un papillon et ses obscures traînées de poudre.  Ta pensée flottait dans une forêt.  Tu en fis le serment : non tu ne seras pas l'épouse qui promène humblement de divins manuscrits. Tu serais artiste et fée mère contre l’effet mère. Des ogres prirent ça pour ta fragilité. Mais tu conserves l'essentiel : l'insoumission.  Tes photographies tu les malaxes aux cieux mais avec le sel de la terre.

Un soir, l’ombre fit surface. Brûlure du gouffre vers la faille. L’ogre se  livra aux passions d’hyène en ta forêt éperdue. Le secret d’une langue coupante couva en ta grotte. Il te laissa pour morte. Tes chaussures serraient tes pieds, un revenant te demandait encore de te soumettre.  Il te joua de la flûte, caché dans les arbres.  Tu n’avais plus de langue mais une lame entre les jambes. Mais tu gardas un corps  dont on ignorait encore la voix.

La neige sur des tombes marquait le territoire de son instinct de femelle. Ton ventre allait être percé d’une flèche l’oiseau. De nourrisson tu n’en avais cure. Alors tu sautas la barrière, panier au bras. Pourtant la peur te coupait les jambes. Mais tu fendis l’espace. La flèche se retint devant la grotte où enfant tu dormais.  Tu fus un temps la rivale des vierges consacrées à la déesse terre.

Sur ta peau le sable laissait des grains. La viole de gambe du vent entamait le rythme pour te faire danser en libellule. La tête ourlée du membre viril de l’ogre annonça un printemps. Eau lente, battement d’artères. Naquit l’amante. Grappes de vigne dans ses paumes. Le sillon de ton étoile traversa la forêt au creux de l’attente. L’amant se fit tendre.  Après une aussi  longue absence les corps s’accouplèrent et s’accordèrent à ce que les mots ne font pas. Pelles roulèrent en voiles de gambettes.

Dans ton cauchemar  l’ogre portait peau de bête et gourdin. Il l’eut pour cadeau un vendredi Saint.  Tu t’es revue soudain en jupe à l’école des sœurs. Avec un  chemisier ciel uniforme et le diable dans ses ourlets. Les religieuses respiraient mal. Un carcan les contraignait. Tout a changé en ton absence. On te cache une chose. Tu fouilles en vain des cendres de louche apparence. Mais ton impossible toi te fait signe : tu l’épouses comme des revenants épousent leurs pas d’avant.

Ce que ton coffre fermait, ta serrure l’ouvrit à regret. Autour du cœur faisait signe les violettes.  Sur son cheval d’acier de parade un soldat libérait des eaux dormantes la violence. Tu allais tout de même porter le petit pot à ta Grand-mère. Au lit sous la coiffe. Cela se nommait museau. Grandes dents tu hurlas. Tu les vis dans ton ventre. Un chasseur te reconnut. Il voulut te marier mais tu savais que les épousailles n'apprennent guère, ignorent tout.

Ton incendie couvait. Peu à peu il dépassa la hauteur des herbes. Ton ombre  dansait en buse errante. Le cri vint de ta caverne. Dans l’argile des ombres, ta peau comme une écorce se tatouait des secrets.  Tu avais touché à l’horizon qui brûle.  Odeur de cheveux sur tes doigts. Y dansèrent les étoiles. Le navire perdit sa quille un dieu y noua son sexe. Un anneau en tomba.  En Méduse tu offris tes lèvres troublantes en te dressant  buste  et bras tendus.

Le jour à la fenêtre s’asphyxiait. En contrebas la disparue t’entraînait. Tu voyais  le sang dans les décombres du combat.  Puis revint le lent recommencement du vent que l’on brasse. Barque silencieuse sous un bloc de granit.  Tu descendis de ta cachette : à la Libération, les cons t’auraient exhibée rasée. Fée on te prit désormais pour une innocente. Même si tu restais en habits trop légers et que tu chantais « je suis un de tes rêves, ton inconnu, ta conteuse, ton sable, ta jonglerie » .  Pour finir tu murmurais : « quand je vous dis que je suis lasse, c’est une façon de parler ».

Ménagerie de verre de tes baisers FMR. Tu étais princesse, grincesse. Tu savais t’envoler. Et faire un creux, une baie. Tu pris un visage de vierge pour dessiner son abîme sur fond de menhirs. De là put jaillir une terre fécondante. Coït mental où le ventre de l’invisible avançait.  Tu écartas l’étoffe, ta nuque au delà de l’axe. Ni lame, ni entaille. Acte commis dans un buisson de brume, voix diffuses. La tête s’approcha sous les images. Comble du vide. Insurrection de ton fantôme. Craquement d’os.

Tes traits décisifs  s’incurvent, tes rondeurs dessinent des constellations. Des nébuleuses  s’égayent dans le noir du ciel. Vertu de tes labyrinthes accessibles soudain aux eaux lustrales.  Le temps les rejoint. Dès lors  il  disparaît.  Lumière étale. La couleur dure. La mémoire oublie ses propres traces et au moment où les genoux sont largement ouverts (qu'une robe cache toutefois) elle renverse sa tête.

bottom of page