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BRUCE GILDEN : PORTRAITS SANS CONCESSION

Jean-Paul Gavard-Perret

Avec "Cherry Blossom" Bruce Gilden propose des portraits qui nous regardent du fond de leur abîme. Comme Sophia Coppola dans "Lost in Translation" revisitant le Japon, le photographe évacue les stéréotypes à travers des visages de rue qui suscitent des sentiments palpables de menace, de reconnaissances douloureuses ou d’abandon.

Mais à l'inverse de sa compatriote il fait plonger dans des lieux qui n'ont rien de rassurant. Se retrouvent là des Yakuza, membres des groupes criminels traditionnels de la ville, popularisés en Occident dans Black Rain (1989) de Ridley Scott. Gilden les photographie en gros plan, avec des expressions qui oscillent de la méfiance à l’intimidation.

Des durs à cuir il sait repérer en leurs postures ce qu'il faut retenir tout comme dans les visages des sans-abri ou de prostitués des rues de Tokyo qui peuvent être les victimes directes ou indirectes des gangsters nippons. La déchéance est évoquée pour les portraits d’individus vaincus par l’alcool ou la pauvreté. Gilden la restitue froidement et dans un réalisme intransigeant.

Se retrouve là son penchant pour les physionomies saisissantes. Ce qui pourrait apparaître comme un manque d’empathie reste la marque du photographe évocateur d'odyssées salement vécues et d'histoires qui peuvent sembler improbables mais qui ne sont jamais chez lui du cinéma. Tout une cour des miracles se dessine dans un pays qui n'a plus rien de celui du soleil levant.  Rien de paisible dans ses abîmes.

Avec Gilden le portrait bien plus que miroir devient une "visagéité" (Beckett) qui souligne la "fausse évidence" des figures "réelles". De tels face-à-face font éclater les masques et prouvent que tout artiste est celui qui se met en quête d'identité par le langage de l'image. Il fait plonger vers l'opacité révélée de divers règnes ou enfers énigmatiques. Le photographe EN ouvre les portes en son souci d’incorporation et non de reproduction.

Bruce Gilden, "Cherry Blossom", Ed. Thames & Hudson, New York, 144 p.

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