Figure de la scène artistique française, bon nombre d’articles et d’interviews ont été consacrés au parcours riche et dense d’Ivan Messac. Ce qui m’intéresse chez ce jeune homme de 75 ans est la façon dont il construit certaines de ses œuvres. L’histoire dans le tableau, c’est certain, va révéler des traits de sa personnalité. Ivan Messac a depuis longtemps ses quartiers dans l’imprimerie emblématique Idem fréquentée par les grands artistes d’ici et d’ailleurs. C’est dans le cadre de l’association des amis d’Idem que je l’ai rencontré. Artiste à la chevelure frisée et grisée, au regard d’une douceur enfantine, toujours émerveillé sur ce qui l’entoure, un brin facétieux. La « chambre à soi » d’Ivan, est en plein cœur du 10ème arrondissement de Paris. Rue de Charonne. Quartier. connu pour tous les artisans nichés à distance des artères passantes. Au fond de la cour, à droite, il faut emprunter un vieil escalier de guingois, aux marches patinées. Au 4ème étage, la porte s’ouvre sur un atelier comme on en rêve.
Une vaste pièce, parquetée, dont tout un pan de mur en vitres laisse entrer la lumière. L’immeuble en vis-à-vis de la cour intérieure vient d’être ravalé et éclaire encore davantage, par réflection, ce lieu déjà très lumineux. Un autre pan de mur est occupé par une bibliothèque où l’on trouve des livres d’art, les siens et beaucoup d’autres, des romans, des recueils de poèmes, des objets, des souvenirs. De nombreux travaux en cours sont au sol et aux murs avec quelques autres plus anciens. Des tables avec tout le matériel possible et imaginable pour peindre, découper, coller. Un canapé, un fauteuil, deux tasses de café et Ivan raconte. C’est un conteur né que l’on pourrait écouter pendant des heures. Un petit peu ce qui s’est passé d’ailleurs ! Ivan est chez lui, ici, depuis 44 ans. Il y vient chaque jour, à pied. Il habite à 20 mn près du carreau du temple. A pied, il va aussi à la gare de Lyon pour se rendre à Sens où se trouve son « usine » autre lieu de création. Ivan est un grand flâneur, le nez au vent, captant les ambiances, l’atmosphère de l’époque, sources de son inspiration. A sa façon de raconter ses échappées dans la capitale, on comprend immédiatement que la liberté régit toute sa vie et toute son œuvre. Ne pas être contraint. Ivan Messac pensait devenir écrivain. « Impossible, La place a été prise par ton grand- père » lui dit son oncle dont il est proche. Régis Messac, dont le nom figure au Panthéon était effectivement écrivain. Dans la famille, il y a aussi un violoniste, un photographe, un journaliste. Alors, que reste-t-il ? Peintre ? Ivan ne fait pas les beaux-arts mais des études de philo à Nanterre. Dans l’ambiance tonifiante des années 68, il s’engage politiquement et artistiquement. De la défense du droit des femmes et des minorités, à l’écologie en passant par la guerre du Vietnam, tous les thèmes de luttes sont là pour nourrir son travail. Sinon à quoi sert sa peinture si ce n’est pour faire passer des messages ? Il se rattache au mouvement de la Figuration Narrative auprès d’Hervé Télémaque, Jacques Monory, et bien d’autres.
Puis la sculpture s’impose naturellement lorsqu’il se tourne vers l’abstraction. En retirant le fond de ses peintures, il ne laisse que les formes. Ainsi né le désir du trois dimensions. Il réalise ses 1ères pièces en carton et très vite, arrivent des commandes publiques...en dur. A-t-il d’autre choix que de partir en Italie à Carrare, célèbre pour son marbre ? Il rencontre Carlo Nicoli qui y dirige un atelier qui perdure depuis 6 générations. Il y apprend le métier de sculpteur en marbre lors de nombreux séjours. Il a besoin d’espace pour travailler ce matériau noble et réaliser des pièces monumentales de plusieurs tonnes. D’où l’usine à Sens ! Pratique, c’est à 1h à peine de Paris. Le travail est éprouvant et à à un moment donné, son épaule droite lui impose un Stop. Retour à la peinture avec la figuration narrative et, quand même, quelques sculptures légères, en aluminium. La lumière est presque printanière dans cet atelier et éclaire merveilleusement un travail en cours. Il s’agit d’un tableau d’une série hommage aux pionnières de l’aviation. Ivan Messac fait des recherches depuis des années sur ces femmes téméraires. Sur cette œuvre, ne reste plus qu’à placer l’hélice qu’il a déjà découpée. Et la couleur de l’hélice. Ivan maitrise les couleurs à merveille. Les aplats claquent, se répondent, donnent de la force au sujet. Sur cette toile précisément, il s’agit de Gabriella Angelini, aviatrice italienne, morte à 21 ans. Son histoire, peut-être encore davantage que celles des autres aviatrices l’a ému. Tout juste adulte, Gaby, rencontre un jeune homme un petit peu plus âgé qu’elle. Il est pilote d’avion avec déjà quelques exploits à son actif. Malheureusement quelques mois à peine après qu’ils se soient liés, il succombe dans un accident. Nous sommes en 1930, elle a 19 ans et décide, en mémoire de son ami, de devenir aviatrice. Rapidement, elle fait des courses. En 1932, le vol Milan-Bombay lui sera fatal. Au moment où elle survole la Lybie, une forte tempête de sable et c’est l’accident. Elle ne survivra pas. Elle est enterrée à Milan et les italiens préservent fièrement sa tombe. Tout le travail d’Ivan est là : raconter des histoires d’hier ou d’aujourd’hui. Les recherches nombreuses et infinies parfois lui prennent autant de temps que la réalisation elle-même. Les autres femmes aviatrices qui nous regardent en train d’échanger viennent d’Espagne ou du Portugal. Elles aussi ont fait l’objet d’importantes explorations. Un autre immense tableau interpelle. Il s’agit d’un homme de grande taille, sur des patins à roulettes. Il embrasse l’espace de ses bras ouverts. Il est vêtu d’un costume et ressemble davantage à un business man qu’à un patineur. On est en 1969. Tous les dimanches matin, ce septuagénaire arrive sur l’esplanade devant le musée d’Art moderne, flanqué de deux grands sacs. Une fois ôté son
imperméable, et donc vêtu de son costume, il sort ses patins à roulettes d’un des sacs, et de l’autre un électrophone à piles. Musique. Sans se soucier de quiconque, il entame une danse. Rien de spectaculaire mais il y a une grâce. Souvent, il donne l’impression de s’envoler car rien ni personne ne le contraint. Il n’est pas là pour le spectacle, il ést juste là pour patiner. Il ne parle à personne. Ivan raconte cette histoire avec une réelle émotion car ce rituel dominical était simplement beau. Dansait-il en se remémorant un amour passé ? Le mystère demeure. Il y a quelques années, Ivan se souvient de ce monsieur avec une certaine nostalgie et lance un avis de recherche pour en savoir davantage. Quelqu’un lui envoie une photo du patineur inconnu. Surprise ! elle est de Robert Doisneau. Ivan apprend que L’original appartient au musée d’Art moderne de Paris. Il poursuit ses investigations et a accès, de manière très confidentielle, à un film, un court métrage réalisé par Antoine Gomez. En 1970, ce court métrage a obtenu le prix Jean Vigo. Un prix cinématographique qui récompense le plus souvent de jeunes réalisateurs. Un autre papier a été retrouvé et révèle le nom de ce patineur Florimond Dufour. Le temps pour Ivan est le frère de sa liberté si précieuse. Il lui en faut pour comprendre les histoires avant de poser les couleurs sur la toile. Il est un peu un archéologue de l’émotion. Ces deux anecdotes sur ses travaux récents permettent de dessiner le portrait d’âme d’Ivan. Un trait pour la sensibilité, un pour l’émotivité, un pour la curiosité. Ivan Messac a toujours, ou presque toujours, su s’entourer de galeries compétentes pour diffuser son travail tant auprès de collectionneurs que d’institutions. Parce que, lui, la vente ne l’obsède pas du tout ! Il a eu des collaborations avec des galeries comme celle de Baudoin-Lebon, Laurent Strouk et d’autres. Aujourd’hui, les jeunes galeristes T&L l’accompagnent avec talent. Ils exposent très prochainement une pièce de 7 tableaux « Les Chieurs » de 1972 avant de la remettre au Centre Pompidou qui en fait l’acquisition. Ivan Messac considère ce polyptique de plus de 5 mètres de long comme son œuvre majeure. Cette sérialité est une réflexion sur l’utilisation de la couleur. Toujours le même sujet, des enfants, répété dans une couleur différente. Les propositions d’acquisitions de cette œuvre pop art n’ont pas manqué. Pourtant, il a toujours refusé avant d’avoir la certitude qu’elle resterait dans son intégralité. C’est chose faite ! Ivan Messac est un artiste complet entre le visuel et l’écrit. Et la photographie ? « A la fin des années 60, je considérais que mon activité de peintre consistait à dialoguer avec les images des médias. Puis mon rapport à la photo a évolué. Je me suis « fait photographe » afin de capter les sujets qui m’intéressaient. La photo prenait alors le rôle du modèle et celui du croquis. Dans les années 80, devenu sculpteur, j’ai photographié mes sculptures, par nécessité car le point de vue était trop important pour être confié à quelqu’un d’autre Depuis une vingtaine d’années, j’ai parfois fait appel à des archives photographiques. Pour mon expo Le Grand Ecart, à propos de Maïakovski ou celle consacrée à Pessoa pour laquelle j’ai mêlé mes photos aux documents historiques ».
Les projets ? Au printemps, direction Le Marais. Sa galerie expose des œuvres sur papier. Avec l’été, petit saut à Caen où certaines de ses œuvres « années Pop, années choc » de la période 1960 seront visibles à la Fondation Gandur créée par le milliardaire suisse du même nom, propriétaire d’une des plus grandes collections au monde. Les vacances seront à peine finies, on embarque à bord du thalys pour Bruxelles où la Patinoire Royale présentera des pièces historiques.
La vie en images d’Ivan sort en juin dans un format à l’italienne avec très peu de texte. Des images comme les aiment les enfants.
Sur le chemin du vernissage de la sculptrice Germaine Richier au Centre Pompidou Il confie qu’il est certainement devenu peintre à cause de sa maman !
Institutrice et très douée pour le dessin, elle lui a illustré son cahier de récitations. Ivan qui n’était pas bon élève au point d’être remarqué connut, soudainement, une certaine gloire auprès de ses camarades quand son cahier fut sélectionné le meilleur de l’école. A cet âge-là, il a compris que le talent pouvait changer la perception que les autres ont de vous. Il a laissé courir et se divulguer l’histoire pour la petite notoriété sympathique que cela lui apportait. Plus tard, il a dit la vérité !!!
En savoir plus :
www.ivanmessac.com
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