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  • Sophie Verchère

ADN : GRAFFEUR

RER C. Arrêt Choisy-le-Roi dans le Val de Marne. Face à la gare, une tour très représentative des constructions des années 60. Pas très esthétique mais l’imaginer en noir et blanc la rend, finalement, graphiquement intéressante. Après dix minutes de marche plus ou moins proche de la Seine, aperçu d’une ancienne usine désaffectée. Pour gagner le lieu plus rapidement, pas de tour du pâté de maison mais traversée en mode fantôme d’un garage automobile. Au pied des voitures en réparation, la structure Eiffel en impose ! Deuxième étage par des escaliers métalliques. La porte s’ouvre à l’heure dite. Shuck One est toujours très à l’heure.


Shuck a trouvé ici son atelier idéal grâce à un commissaire d’exposition du Quai Branly. Tout l’a séduit dans cette ancienne usine de maroquinerie Hollander. La Seine bordée d’arbres qui passe sous ses fenêtres, toute l’activité produite dans ces bâtiments durant des décennies et les autres artistes qui partagent cette pépite architecturale lui insufflent son énergie créatrice. Depuis 12 ans, il passe tout son temps dans ce qu’il appelle son laboratoire… quand il n’est pas en train de réaliser des œuvres in situ en Guadeloupe ou en Italie, ou d’exposer à Francfort, Milan, Amsterdam.



Vue sur Seine

L’espace avec mezzanine est spacieux, très clair avec le fleuve en fond d’écran. L’œil se transforme en scan tant il y a à voir. Du sol au plafond, des éclaboussures de peinture, des toiles immenses terminées, stockées ou non, des sculptures, des bombes, des markers, des maquettes, des bouquins. Un petit pan de mur sous l’immense vitre attire l’œil. Tous les outils sont accrochés là, dans un ordre précis. On croirait une installation ! Ce rangement est très révélateur de la personnalité de Shuck. Pas de hasard. Au sol, un tableau en cours avec des kippas pour une synagogue, des morceaux de carcasses de voitures que le talent transforme en sculptures presque aériennes, du packaging pour la société des rhums Longueteau. Récemment, il a refait une façade de 10 panneaux pour une société en Guadeloupe et peint un décor de film pour Canal+




« J’avais besoin de connaitre l’histoire de mes origines »

Natif de la Guadeloupe, Shuck One arrive à Paris en 1983 dans le quartier Alexandre Dumas. Métro ligne 2. Ligne bien connue des taggeurs. Et le tag, il connaît. Il a découvert le graffiti à la fin des années 70, moyen d’expression identitaire et de revendications politiques des indépendantistes sur les murs de Pointe-à-Pitre. Sensible à ce qu’il déchiffre via ces tags, l’adolescent qu’il est, va tenter de trouver des réponses à ses questions sur le passé, le présent, ses origines. Il se plonge dans l’histoire de l’Afrique, de l’Amérique, des Antilles, retrace l’histoire de l’esclavage, de la colonisation. Une quête sans fin qui l’enrichit et l’aide à comprendre les êtres humains d’où qu’ils viennent.


« Le King du métro »

Paris l’enthousiasme. Des amitiés se tissent rapidement. Normal, il est très sympathique ! Il se fraie un chemin parmi les taggeurs parisiens qui bombent leurs « blazes » sur les rames de métro et les murs de la ville. Pas du genre à rester en coulisses, ambitieux, il s’impose rapidement dans les entrailles de la capitale. Il est respecté par ses pairs et se voit estampillé à trois reprises « le King du métro ».

Il créé deux collectifs de taggeurs et graffeurs, Dcm et Basalt, qui vont laisser leur empreinte dans le mouvement hip-hop. Il passe le bac mais les études, ce n’est pas trop son truc. Tout va assez vite finalement quand on est passionné et doué. Rapidement, il passe du mur à la toile avec son œuvre Stop Apartheid. Sa créativité est en marche. Son talent de coloriste éclate, il colle, il peint, il dessine, il sculpte. Créer, s’exprimer et rien d’autre.

L’être humain et les mégapoles l’obsèdent. Le besoin urgent de courir le monde se fait sentir pour découvrir autre chose et nourrir son travail. Deux ans du Bénin à Copenhague en passant par l’Italie et l’Egypte. New-York aussi. S

Lui qui aime tant la photographie en profite pour shooter les architectures, les moments, les lieux. Depuis quelques années, il retravaille en couleurs certains visuels pris en noir et blanc avec un appareil argentique. La photographie est vraiment un médium et une matière dans son processus créatif.



Graffeur, humaniste et engagé

Il reconnait vivre de sa peinture depuis 1989. Un puis des collectionneurs le suivent, l’achètent. Sur ses toiles, le mur n’est jamais loin. L’expression sur toile se fait l’écho des maux du monde qu’il ressent au plus profond de lui-même. Sa sensibilité est aussi jaillissante que sa couleur. Les connaisseurs, les amateurs ne s’y trompent pas. Son trait engagé lui ouvre les portes de collections publiques et privées en France et au-delà. Avec Trans-mission to urban Ecology, il interpelle à la Biennale de Venise. Une œuvre réalisée à partir de matériaux récupérés, de déchets accumulés au sein des villes. Des installations en live au musée de l’Homme, une acquisition par le Mémorial ACT, premier musée de l’esclavage, en Guadeloupe. Il expose à Francfort, Milan, Amsterdam.

Il y a quelques années, un voyage à Johannesburg va le marquer à tout jamais. Invité à présenter des peintures et des sculptures, il se fond tellement dans la ville qu’au lieu d’un mois, son séjour en comptera trois. Il visite les anciens quartiers de l’apartheid, Soweto et Pretoria. En tant qu’artiste, Il se sent investi d’un devoir de transmission. Il ne voit pas comment vivre ensemble sans mettre en valeur l’histoire de l’autre. Il a mis à profit les différents confinements pour réaliser une œuvre dédiée aux grandes personnalités noires puis à un projet Neurones sociales, un hommage au personnel soignant.


Rimbaud, toujours dans la poche

Shuck One souhaite insuffler de la poésie dans tout son travail que ce soit sur le mur ou la toile. La faute à Rimbaud ? dans sa poche il a toujours un recueil de poèmes d’Arthur !

Lors de son discours à l’académie française, Cocteau a eu cette citation désormais célèbre « Je sais que la poésie est indispensable mais je ne sais pas à quoi ».

Il semblerait que ce pionnier du graffiti le sache !


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