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RÉMY MATHIEU

Paysages habités

Il arrivera un jour prochain où les ressources en énergies fossiles seront épuisées. Il arrivera aussi un jour où les centrales nucléaires s’arrêteront définitivement, soit par manque de matière première, soit par conscience écologique. Ainsi, les grandes autoroutes reliant les centrales aux grandes agglomérations n’auront plus lieu d’être. Les pylônes de très haute tension seront déconnectés, démantelés, sans fonction, esseulés dans le paysage.
C’est le projet que je développe depuis plusieurs années maintenant, dans la plaine de l’est lyonnais, dans le prolongement de la centrale du Bugey, dans la plaine d’Alsace entre la centrale de Fessenheim et Mulhouse, mais aussi dans d’autres territoires. Il s’agit de montrer un paysage fictionnel, par une photographie d’anticipation.
En montrant un paysage investi via un protocole strict et rigoureux alliant les procédés les plus anciens et les plus récents, du négatif papier à l’outil numérique, ce travail s’inscrit dans un esprit proche de celui de Bernd et Hilla Becher. L’aspect typologique du projet, le choix précis du point de vue, la platitude de la lumière et les ciels laiteux, le respect de la géométrie du sujet, le caractère sériel, sont autant de points de similitude. Mais il serait insensé et vain de se contenter de mettre ses pieds dans les traces de nos aînés. Ces images se distinguent par la place que prend l’environnement, le paysage. Il ne s’agit pas de photographies de pylônes mais de paysages dans lesquels figure un pylône. La taille et la place dans l’image de ceux-ci est d’ailleurs variable dans l’image, ce qui est un point de divergence important avec l’esprit « becherien ». Ce sont ainsi des sculptures géantes, qui apparaissent et qui prennent position et possession du territoire dans un élan à la fois poétique et fantastique où l’esthétique et le propos se disputent une certaine étrangeté, la douceur de la matière photographique et la singularité d’une situation improbable.
Ce travail fait également référence à ce que l’on peut considérer aujourd’hui comme la tradition française du paysage, initiée au début des années 80 par la Mission Photographique de la DATAR et poursuivie par la Mission Photographique Transmanche, celle du Conservatoire du Littoral, « Les quatre saisons du territoire » et jusqu’au projet « France[s] territoire liquide ». Mais il ne s’agit pas pour autant d’images documentaires, ce qui était le projet originel, ni même de projection. Loin du « ça a été » cher à Roland Barthes et d’un « ce sera », un brin prétentieux, ces photographies s’inscrivent dans une temporalité incertaine, ni passé, ni présent, ni futur, mais dans une fiction possible, une fiction plausible.
Et c’est bien cette plausibilité qui est déstabilisante, ce rapport à peine imparfait entre l’image et le réel. La photographie a un rapport au réel bien particulier mais nous savons bien, depuis l’autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard en 1840, que la photographie n’est qu’illusion.
Rémy MATHIEU
2019-23.



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