JACQUES KUYTEN
Je suis né à Paris en 1961. J’ai passé ma petite enfance aux Puces de Saint-Ouen, ce qui a fortement sensibilisé mon œil au détail de l’objet.
Je m’installe vingt ans plus tard à La Réunion où je débute ma carrière de photographe. Je travaille essentiellement pour les musées départementaux de l’île et me spécialise dans la photographie d’objets d’art. Les contacts professionnels et amicaux établis dès lors avec les artistes et les conservateurs contribuent à diversifier et à enrichir mes productions.
En effet, il est fascinant de pouvoir être au plus près des œuvres. J’ai le privilège en tant que photographe d’atteindre cette intimité. Aussi quand je travaille pour les artistes, je me dois de rendre au mieux ce qu’ils souhaitent exprimer. Cette position me demande une humilité certaine et une grande délicatesse.
Cette manière de faire a, peu à peu, imprégné mon fonctionnement. Si pour mon travail personnel, j’ai la nécessité de sortir des murs, d’être dans le réel, je préserve cette douceur à l’intention du sujet que je photographie. J’aime partager ces instants T qui se déclinent comme autant de nuances dans une journée. Qu’il s’agisse de personnages ou de moments de nature, je préserve le fait de cueillir l’instant. Mon image est un écrin, elle recueille pour offrir. L’émotion réside là, dans la recherche des prises de vue, la volonté et le plaisir de fixer puis de révéler des images patiemment conquises. Les expositions longues permettent le rendu d’une lumière diffuse, évanescente. Il n’y a pas de mise en scène, mais le choix d’un angle du réel dans toute sa légèreté. L’image est une offrande, elle semble m’attendre pour que je la capte tranquillement. Je partage ainsi le bercement d’un instant avec le spectateur.
Je poursuis actuellement mon travail de recherche photographique à La Réunion et dans la zone océan indien où, par le biais de mes images, je cherche à transmettre ce qui perdure d’une tradition et d’une douceur de vivre.
_______________
La Pointe au sel
La Pointe au sel se situe dans l’ouest de l’île à Saint-Leu sur la route vers Saint Pierre. Ce
lieu-dit est à la sortie de la petite ville côtière à l’urbanisation expansive et disparate. Impasse au bout d’un chemin de terre, l’endroit singulier est à la fois accessible à tous et en même temps en retrait des circulations. La côte y est à l’opposé des lagons si proches. Elle est faite de verticalités abruptes à la merci des vagues avec cette roche volcanique sombre, hostile. Les salines toutes calmes, construites en 1942, sont là à quelques mètres du ressac si blanc. Une dizaine de bassins, toujours en fonctionnement, ode à l’horizontalité, ode aux transformations alanguies.
À de nombreuses reprises Jacques Kuyten a fréquenté cet endroit qui nous invite à une promenade apaisée, ralentie, observatrice. Il a trouvé là-bas un paysage qui impose son rythme. Et justement, son travail artistique se nourrit d’une position en retrait où prendre son temps est nécessaire. Sans doute parce qu’il porte son attention sur des détails discrets, des processus lents, des temps moins faciles d’accès. C’est une des fonctions du photographe de capturer, s’il le peut, une autre distance que la nôtre, une autre temporalité.
Les photographies prises à la Pointe au sel sont une immersion. Il n’est pas question de montrer le contexte, le paysage, les travailleurs du sel et leurs outils. Non, Jacques Kuyten a fait le choix radical d’un rapport essentiel, d’une vision concentrée. Nous sommes au plus près du processus en cours dans un entre-deux poétique. Avec un noir et blanc débordant de nuances et de finesses, l’eau, surface sensuelle, frileuse, se dissout pour devenir autre chose. Des formes uniques, abstraites sont là sous nos yeux et ouvrent nos imaginaires. Le photographe nous invite à modifier nos certitudes. Sans doute parce que des antagonismes sont visibles avec des combats silencieux entre le blanc et le noir, entre le liquide et le solide, entre la douceur et la dureté, la brèche et le plein.
Enfin, la série d’images vue dans son ensemble ne manque d’évoquer un mot clé de ce dernier travail de Jacques Kuyten : surface. Effectivement, c’est une évidence, si on prend le temps de les parcourir, ces images sensibles, si proches de l’eau et des cristaux, assument sans bruit un plaisir de la surface. Un mot qui fait écho à ce qu’est fondamentalement aussi une image photographique. Un mot qui ouvre des perspectives pour saisir la démarche singulière de cet artiste discret.
![]() | ![]() | ![]() |
---|---|---|
![]() | ![]() | ![]() |