DIDIER DE NAYER
GRÈCE GRAFFITÉE
Mycènes, Messène, Epidaure, Sparte, Olympie, Delphes, Dodone, Kassopée, Athènes, le Parthénon… ces noms résonnent dans ma tête, souvenirs diffus des années lycée, et images emblématiques, inconscientes, de la démocratie.
Sur place l'imaginaire prend forme dans les ruines et les musées, troublés par les hordes de touristes débarqués de leurs bus à air conditionné, ces lieux antiques naguère propices au recueillement, au calme, perturbés par des troupeaux d'humains, galopant comme des fourmis en rang serrés... Les vieilles pierres relevées de bric et de broc, les fondations plus ou moins dégagées, se dressent dans la végétation, espaces maintenant vides de toute âme, offerts aux prédateurs numériques, les bras tendus vers leur cible, des murs sortant de la végétation, des colonnes en miettes, redressées ou couchées, des temples vides, des amphithéâtres désertés... les vases, statues, bas reliefs, figurines, bijoux trouvés dans les sites sont aussi vides de signification à l'abri dans leurs vitrines, hors de leur contexte. La magie de l'image réunit alors statues exilées et lieux retrouvés et, dans cet univers réinventé, tente de redonner vie aux ruines et de rendre aux temples les ornements et aux maisons leurs objets usuels. À ces architectures du passé se superposent alors quelques signes de vie, de mouvement, et les ruines se repeuplent de personnages vivants, de silhouettes, de statues, de figurines... des créatures étranges s'animent et revivent leur splendeur passée…
Photographier : écrire avec la lumière, en grec évidemment…
Gratter, graffiter l'image, pour qu'à ces architectures se superposent des signes de vie, de mouvement, donner un sens à la fiction, renforcer les signes, donc le sens, détruire le support, le fond pour obtenir une forme plastiquement intéressante, une image tout simplement.
Didier De Nayer
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UNE MER CHAUDE
Longtemps, avant que je ne découvre les sentiers "Lacarrière", je pensais que la Grèce n'existait que dans les livres d'histoire et les gravures du XIX° siècle.
La Grèce, cette mère spirituelle de nos fantasmes démocratiques, images emblématiques plus enracinées dans notre inconscient, plus vraies que la rude réalité du roc et de l'eau. Jamais l'écart ne fut aussi grand qu'entre la richesse, le foisonnement imaginaire développés sur ce socle et la sécheresse des images mortes de ces monuments, de ces ruines de statues sur papier glacé.
D'un côté était l'écrit, dense, riche, aux rues encombrées de bouleutes, d'héliastes, d'étals, de cris, de senteurs ; de l'autre, les images. Images de chambre froide, sans vie, aux portes muettes, aux colonnes pétrifiées, à l'entassement exsangue.
Dieu que cette Grèce de bachotage était triste et que n'explosa-t-on une fois encore ce Parthénon sans âme ?
Didier De Nayer a dû toucher ce froid de pierre, cette solitude muséale des statues, errer dans ce no man's land comme une mémoire en dérive.
La Grèce que nous propose aujourd'hui Didier est une émeute de la mémoire, il habille, meuble, peuple, invente, réhabilite ces solitudes désertées, un peuple debout nous salue. La force de ses images est dans leur implacable simplicité, simplicité du regard, simplicité de la démarche ; elles ont retrouvé leur place, ces statues exilées, un jour de funeste cérémonie.
Dans cet univers réinventé elles bougent, dansent, vibrent, occupent l'espace, leur espace retrouvé et tout revit. L'investissement simulacre, le mouvement simulé sont les plus forts, ils dominent, ils règnent sur ces territoires. L'image est ici totale ; imaginaire réalité, elle nous enveloppe, elle nous investit, nous habite, nous transporte dans cette familiarité des choses que nous affectionnons et nous accorde ainsi au long processus de la création.
Nous entrons dans cette mer chaude de l'évidence; nous y sommes bien.
Daniel Mezergues
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