top of page

CAROLE REBOUL

Née en 1973, auteur photographe, je vis dans les Cévennes gardoises. Oscillant entre l’infiniment petit (la macrophotographie) et l’infiniment grand (les paysages de nuit), j'y retrouve les mêmes émotions, que j'essaie de retranscrire. Ces heures passées à contempler les étoiles, à rêver au clair de Lune, à suivre un papillon, à respirer une fleur, à admirer la lumière à travers les arbres, sont un vrai besoin vital. C’est une étape indispensable pour comprendre que nous ne sommes qu’une infime partie d’un ensemble plus vaste et si fragile où tout est lié.
Un livre à la fois artistique et engagé, « Il était une fois la nuit », édité aux éditions la Salamandre, est paru à l’automne 2021, dans lequel je raconte la nuit en pleine nature, la beauté du ciel étoilé, le besoin d’obscurité des êtres vivants et l’impact de la pollution lumineuse. Il s’agit de mon troisième livre, après « Rêverie » et « Effleurements ».
Animée par le désir de sensibiliser le public à la protection de la nature et de la nuit, qui passe par un autre regard sur celles-ci, chaque année, j'organise des stages photos macro et paysages de nuit et j’expose dans de nombreux festivals photos nature en France et en Europe.

Je fais depuis longtemps de la macrophotographie. J’adore jouer avec la lumière, obtenir des flares, offrir une version onirique de la réalité. En parallèle, lors de mes voyages, j’ai à chaque occasion pris le temps de sortir la nuit pour prendre des photos. Les étoiles m’ont toujours fascinée, j’ai d’ailleurs fait des études de physicienne pour cela.
Aussi, à un moment donné, il y a 4 ou 5 ans, il est devenu évident que je devais me plonger plus sérieusement dans un travail sur la nuit. Je ne me doutais pas, à ce moment là, de tout ce que j’allais découvrir qui changerait radicalement ma façon de voir la nuit.
J’ai commencé bien entendu par vouloir montrer le ciel étoilé. J’ai passé beaucoup de nuits à photographier la Voie Lactée, et à en faire des panoramiques. Cela demande de l’anticipation. Il faut surveiller la météo, vivre au rythme de la Lune, faire des repérages tout en sachant qu’un paysage de nuit ne rend pas en photo comme celui vu de jour.
Pour photographier les étoiles, la maîtrise de la technique est certes indispensable. Mais je ne souhaitais pas me faire happer par elle. J’ai donc laissé tomber les empilements de photos comme cela se pratique souvent. J’ai fait le choix de ne pas rechercher à tout prix la photo parfaite, d’accepter les compromis et de travailler plutôt sur l’émotion. Une émotion que je ressens de plus en plus au fil de mes sorties. Toutes ces nuits blanches me font me sentir dans mon élément sous les étoiles. J’aime lever les yeux, m’orienter avec les constellations et les retrouver nuit après nuit. C’est comme si un lien se créait avec certains astres. Les revoir me fait du bien, m’apaise.
Mais les étoiles ne sont rien sans le paysage. Je veux montrer que nous faisons partie d’un tout, que même si nous sommes infiniment petits et insignifiants à l’échelle cosmique, ce qui se passe sur Terre nous est infiniment important, et la nuit nous met face à ce paradoxe, dont la prise de conscience nous enrichit. La nuit a le pouvoir de nous révéler ce que la journée nous cache. Il n’y a que la nuit que nous pouvons prendre conscience de la rotation de la Terre, imaginer la vitesse à laquelle elle se déplace dans l’Univers. J’essaie, quand ces pensées m’assaillent, de mettre cela en image, en exploitant le long temps de pose qui permet d’expérimenter.
La nuit offre de belles rencontres animales si l’on sait se faire discret, être patient, à l’écoute de son environnement. Un tiers des vertébrés et deux tiers des invertébrés sont nocturnes. C’est tout un monde qui se réveille quand nous allons dormir. Et ce monde a un réel besoin d’obscurité. S’éloigner des villes la nuit et prendre du recul avec la lumière fait prendre conscience de l’impact des éclairages, qui portent très loin, sur la faune et la flore. Leurs activités en sont perturbées, leur survie menacée. Je fais donc le choix de ne jamais éclairer pour les prendre en photo, profitant souvent de la Lune. Lorsque ce n’est pas possible, je me résigne à aller sur des lieux où les éclairages sont déjà existants.
Aussi souvent que possible, je marche sans éclairer. L’expérience du noir est très enrichissante. Des sens insoupçonnés se réveillent, comme la thermoception : le contact de la neige, de la pluie, d’un souffle d’air chaud ou froid sur les joues nous renseigne sur notre environnement. L’air qui nous entoure fait partie intégrante du paysage, c’est le lien entre les étoiles et le sol. Je cherche donc à révéler cette matière invisible sur mes photos. Je me nourris de tout ce que la macro m’a appris, notamment le jeu de lumière, pour pouvoir le faire. Montrer la neige qui tombe, l’humidité en suspension, c’est une simple affaire de lumière. Parfois la Lune suffit, sinon j’éclaire un bref instant avec ma frontale, en trouvant le bon dosage, tout en subtilité, en perturbant le moins possible. Je privilégie donc les sorties en hiver, car cela offre beaucoup plus de possibilités créatives mais aussi car je me sens davantage dans l’instant présent, face à l’adversité des éléments. Ce que je vis est plus fort, et cela se ressent forcément dans mes prises de vue.
Faire des photos de nuit exige de prendre son temps, de se déconnecter. Quand je fais une sortie nocturne, je suis dans une bulle où le temps semble s’être arrêté, j’oublie l’heure. Petit à petit, je dépose tous les tracas de la journée, je me libère l’esprit et la pensée. Tout devient possible, la magie de la nuit opère, et je touche alors du bout des doigts l’essentiel. Cet espace sans pression sociale, ce temps d’introspection, où l’on ose rêver et être soi-même, nous serions prêts à payer cher pour cela, et la nuit nous l’offre gratuitement.
Un adolescent me confiait que regarder les étoiles l’aidait à se sentir libre. Aussi, quand on sait que 60 % des européens ne peuvent plus voir la Voie Lactée de chez eux, on se dit qu’il devient urgent de lutter efficacement contre la pollution lumineuse et de « rallumer les étoiles ». Le risque est grand, les spécialistes parlent d’amnésie générationnelle environnementale : l’enfant qui ne connaît pas le plaisir et l’émotion de contempler le ciel étoilé ne l’intégrera pas, ensuite, dans sa vie adulte, professionnelle et familiale, acceptera de s’en passer et ne fera rien pour le préserver. Nous devons emmener nos enfants et petits-enfants à la rencontre des étoiles, leur faire vivre cette belle expérience, pour que les générations futures continuent à créer du lien avec elles, et la protègent comme un trésor.

tk-21_logo.png

bottom of page