AARON
J'ai passé les sept premières années de ma vie à Casablanca. La douceur de vivre avec le soleil, les odeurs, les personnages hauts en couleur, la terre, la plage...
Et puis les blessures surviennent... la terre a grondé, effaçant une ville de la carte et un pan de ma famille avec elle... Et puis le destin emporte une partie de ma chair...
À l'âge de sept ans, je laisse derrière moi les rêves et les blessures pour découvrir la vie française.
À l'adolescence, la religion, qui après avoir occupé une place importante, s'est vue mise à l'écart pour ne pas dire rejetée... Ce n'est que bien plus tard que j'en retrouve la quintessence par le biais de la spiritualité et du sacré.
L'âge adulte me mène à mon métier de médecin avec une forte propension pour la psychanalyse et l'inconscient dans un premier temps puis pour les thérapies holistiques, l'esthétique et l'hypnose...
Aujourd'hui, les images que je produis sont issues de mon univers onirique. Elles sont nourries de symbolique, de blessures, de poésie ou de sacré. Mes personnages sont marqués du sceau de mon passé.
Mes modèles sont choisis avant tout sur leur aptitude à côtoyer les émotions. J'entretiens avec eux un rapport très étroit sur le plan émotionnel. Les séances sont discutées en amont, mises en mots, mises en émotions. Si bien que lors de la séance, le modèle est complètement investi dans le thème.
Le contact avec l'inconscient est quelque chose d'extrêmement important pour moi. J'apprécie particulièrement qu'en découvrant une de mes photos, le spectateur ressente cette petite seconde de flottement, ce minuscule instant où il n'y a pas de code prévu pour ce qu'il voit. Alors pour moi, le pari est gagné, nous sommes connectés et nous pouvons communiquer directement d'inconscient à inconscient. C'est le royaume de l'émotion, ce minuscule instant. C'est lui qui continue à me rendre créatif.
Les aspects techniques sont préparés. Le plan d'éclairage que je choisis, ce que je pense utiliser comme matière, sont testés. Le maquillage, l'environnement, les musiques qui seront utilisées... tout cela afin d'oublier la technique lors de la séance.
Je laisse toujours une grande liberté au modèle. J'essaye surtout de nourrir sa créativité par les musiques, par les mots, par le contact avec la matière. Je ne lui demande jamais de jouer un rôle mais plutôt de vivre quelque chose intérieurement, quelque chose de fort, quelque chose qui le touche personnellement. Le moment de la prise de vue se passe de façon quasi inconsciente, immergé dans le volume de la musique. Cela peut aussi bien-être du sacré, une symphonie, un requiem ou les standards des Doors ou de Leonard Cohen...
Toute l'équipe est un petit peu en transe. Laisser émerger...
Ce n'est qu'au moment du visionnage que je sors de cet état. Je suis régulièrement surpris de l'émotion qui se dégage des clichés. Surpris, comme si j'étais un maillon dans une chaîne qui me dépasse. Je reçois, je transmets, cela passe par moi mais vient de plus loin...
L'émotion est le maître mot. Souvent sombre, telle la peur, la perte, l'angoisse, la douleur, la folie, la séparation, la vulnérabilité, mais aussi lumineuse avec l'espoir, la naïveté, la poésie, le sacré...
La matière est également importante dans mon travail. Que ce soit l'eau, la farine, la peinture ou l'argile, la matière est souvent présente. À mon sens, elle exhausse l'émotion. Elle est porteuse d'un trouble. Comme s'il était difficile de situer l'œuvre, à mi-chemin entre la sculpture, la peinture et la photographie... La matière participe pleinement à cette précieuse seconde de flottement.
Mon style est volontairement épuré afin d'aller directement à l'essentiel : le regard et l'expression. Surtout ne pas se laisser distraire inutilement. La lumière guide le voyage de l'œil à travers le tableau. Elle prend le spectateur par le regard et le mène précisément vers sa destination...
Pour moi, la photographie ne consiste pas à saisir la réalité mais bien à la réinventer.
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