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UN RÊVE FONCTIONNE SANS PRÉAVIS

Hervé Hubert

Un rêve fonctionne sans préavis. Une grève est l’expression d’un désir insatisfait. Ce désir est un désir décidé par le besoin. Un rêve est l’expression d’un vœu, un Wunsch ! À vos souhaits ! Freud le rattache à l’enfance, au désir sexuel de l’enfance : un désir sexuel infantile insatisfait et inconscient. Une grève est un fait social le plus souvent collectif mais qui peut être aussi d’apparence individuelle, telle la grève de la faim, du besoin de la faim et de la vie : il faut manger pour vivre. La grève est refus de travail alors que le rêve lui travaille comme un fou pour déguiser, masquer ses personnages. Le désir y court comme un furet pour faire fonctionner des valeurs en contrebande. La grève voudrait faire cesser la duperie sociale et sa contrebande.

Rêve de grève générale espèrent encore ceux qui voient la guerre venir. Grève des rêves répondent les plus radicaux.

Ces formes d’opposition mises en série pourraient être multipliées et interprétées comme la mise en scène de la fameuse opposition entre l’individuel et le collectif, même si les entrelacs font passages.

Mais nous en avons soupé des Rêvolutions fussent-elles fusiblement surréalistes. Antonin Artaud est là pour m’artoïser que s’il y a quelque chose de furtif qui persécute, « l’art a pour devoir social de donner issue aux angoisses de son époque ».

Le point central est en effet l’angoisse sociale à laquelle les pulsions sociales font écho. L’heure artistique alors n’est plus aux leurres des jeux de mots psychanalytico-surréalistes mais à tenir compte du transfert social fétichiste dans lequel nous vivons de façon si aberrante chaque jour. Marx décrit de façon très anticipatrice en 1867 dans Le Capital le nouvel inconscient du XXIe siècle. Certes il pourrait être cru qu’il anticipe simplement Freud et la lecture de l’inconscient à la Champollion. Il écrit en effet à propos de la valeur capitaliste : « La valeur ne porte donc pas écrit sur le front ce qu’elle est. La valeur transforme au contraire tout produit du travail en hiéroglyphe social. Par la suite, les hommes cherchent à déchiffrer le sens de l’hiéroglyphe, à percer le secret de leur propre produit social, car la détermination des objets d’usage comme valeurs est leur propre production sociale, au même titre que le langage ». Ce passage ne met pas – contrairement aux apparences – l’accent du côté du déchiffrage d’une lecture de l’inconscient à la Freud ou à la Lacan.

Marx augure un inconscient social où c’est « le faire » qui prime et non le « lire ». Le passage sur le sens du hiéroglyphe est en effet précédé d’une phrase qui éclaire la vraie duperie, l’aliénation capitaliste où la fausse égalité véhiculée par la valeur d’échange se retrouve dans les rapports humains dans la vie de tous les jours. Cette phrase marxienne est la suivante : « Ils ne le savent pas, mais ils le font pratiquement ». L’inconscient – ce que l’on ne veut pas savoir – concerne le « faire », la fabrique du social, ce que produisent les humains.

L’inconscient marxien donne la voie de la Révolution dans le faire concret et cela rentrera dans l’oreille du poète Pier Paolo Pasolini qui écrira un roman, Le Rêve d’une chose, à partir d’une lettre de Marx contenant ce syntagme romantique.

Le rêve fonctionne sans préavis. La vie fonctionne sans préavis. La base de la norme est un piège en toute chose y compris dans le rêve d’une chose pour suivre Pasolini. Il est extraordinaire que Marx puisse introduire le fétichisme pour montrer qu’il impose une norme et qu’il s’agit donc de partir d’une autre base.
Cela reste fructueusement révolutionnaire dans des domaines humains encore inexplorés.

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