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« MINUIT CHEZ ROLAND [31DÉCEMBRE] »
UN CONTE FRAGILE D’AURÉLIE PÉTREL

Catherine Raspail

Une grande femme brune nous regarde. Elle plonge ses yeux immenses dans les nôtres, nous jaugeant de sa hauteur.
Plantée là, chapeautée, drapée de son vison coulant sur ses épaules, elle se tient droite et fière. D’un sourire satisfait et cependant mystérieux, elle nous accueille.
Plus timide et hésitant, un petit garçon aux yeux clairs (le sien?) l’accompagne. Un imprimé girafe leur tient lieu de fond de scène.
Reste à leur tourner autour, essayer malgré tout de nous immiscer dans « leur » labyrinthe, rentrer en contact avec eux. On souhaiterait les effleurer plus que du regard, sentir la chaleur de leur peau, la douceur des tissus, les parfums de Beyrouth.
Nous sommes à l’intérieur de la nouvelle « architecture d’images » d’Aurélie Pétrel.
Tout commence par le voyage, celui d’Aurélie pour le Liban. La suite sera dictée par la première phrase de l’agenda trouvé par la photographe, celui d’une jeune française établie à Beyrouth en 1958: « Minuit chez Roland – 31 décembre - ».
Au fil d’un travail de terrain, mode opératoire habituel de l’artiste, Aurélie accumule prises de vue, entretiens avec des libanais.e.s, recherches documentaires. Comment restituer cette enquête photographique d’un Beyrouth passé et disparu, d’instantanés contemporains, de bribes de palais, de rues, d’arbres et d’inscriptions, d’architectures soufflées par l’explosion du port ? Comment partager les paroles entendues, les récits d’une guerre passée mais si cruellement présente, les témoignages des combats, des ricochets des balles?
Aurélie Pétrel nous tend la main et réalise ses labyrinthes, mixant documentaire et fiction, histoire et actualité.
C’est dans ce dédale de photos imprimées sur de grandes plaques de verre (2m de haut X 1m de large) qu’Aurélie nous abandonne, « désorientant le regardeur ».
Et en effet, nous sommes dans l’œuvre, y participant, sans y être tout à fait. Jamais. Attiré par un détail, une échappée, un paysage susurré, nous buttons sur le verre, impasse sur le chemin.
Bifurquant soudain, nous faisons face à notre reflet : contemporains de la grande histoire comme de la petite, Aurélie Pétrel nous contraint à affronter ces vies, ces destins individuels, ce Beyrouth en quelque sorte familier, cette ville-sœur si complexe et foisonnante.
Cette « partition d’images » où nous déambulons avec plus ou moins d’aisance et d’hésitation renvoie à ces palais des glaces des fêtes foraines, à la fois séduisants et pourtant angoissants. Surfaces froides et figées, nous les quittons avec regret et soulagement ; nos regards de voyeurs auront allégrement plongé dans la rue d’hier et celle d’aujourd’hui, nos pas auront suivi ces destins douloureux mais victorieux parfois. Sans nous y être franchement égarés, nous aurons suivi la photographe dans une ville peuplée de rêves et de fracas.
Ancrés dans le présent, fichés dans le sol, ces labyrinthes aux images elliptiques s’apparentent aux mirages apparus dans le désert. Bien réels, ces indices immatériels, morceaux d’architecture, de paysages, ces silhouettes nous signalent modestement leur présence: « Nous étions pourtant là ! ».

La photographie d’Aurélie Pétrel réactive le passé et l’inscrit simplement dans notre présent.

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